Registre canadien des attaques de requins
Le Registre canadien des attaques de requins (RCAR) est la première base de données des incidents recensés de requins ayant entraîné des blessures ou des décès au Canada. Les données sont compilées, vérifiées et mises à jour en continu par l’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS). Nous fournissons également des informations relatives au comportement des requins ainsi que des recommandations de sécurité préventive pour toute personne s’aventurant là où des requins peuvent être présents.
Veuillez noter qu’en raison de l’absence fréquente de détails clés, il est parfois nécessaire de spéculer sur la base de faits connus afin de tenter de déterminer l’espèce et les causes de certains incidents. Il est également important de comprendre qu’aucune des informations présentées ici ne vise en aucune façon à contester le fait que les attaques de requins au Canada et dans le monde sont très rares.
Les mots sont importants. Lisez la section Attaque vs. incident pour la justification du terme attaque.
OBSERVATOIRE DES REQUINS DU SAINT-LAURENT
Registre canadien des attaques de requins
Rédigé et compilé par Jeffrey Gallant, MSc | Observatoire des requins du Saint-Laurent
Version originale : 25 juillet 2022 | Dernière mise à jour : 19 octobre 2023
Comment citer : Gallant, J. (2023. 19 octobre). Registre canadien des attaques de requins (2023:1). Observatoire des requins du Saint-Laurent. https://geerg.ca/fr/attaques-requins/.
Citation dans le texte : (Gallant, 2023)
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Le Canada n’est pas connu pour ses nombreuses espèces de requins ni pour ses rencontres avec des requins entraînant des blessures ou la mort. Et pourtant, son premier récit écrit¹ (1672) relatant l’abondance de requins et de raies dans le Saint-Laurent, ainsi qu’une anecdote relatant une attaque mortelle de requin en 1691, précèdent de plusieurs siècles la Confédération et les changements climatiques. Il existe également des preuves convaincantes² que des rencontres préhistoriques entre les peuples autochtones et les requins, y compris des attaques mortelles, ont eu lieu pendant des millénaires dans les provinces maritimes, ce qui renforce notre conviction que le soi-disant retour du requin blanc au Canada atlantique et dans le Saint-Laurent s’apparente davantage à un semblant de normalité qu’à un effet significatif des changements climatiques. Néanmoins, le risque d’être mordu, et encore moins tué par un requin au Canada ou ailleurs demeure extrêmement faible.
⚠️ Aucune des informations présentées ici ne vise à contester le fait que les attaques de requins au Canada et dans le monde sont très rares.
Or, les statistiques canadiennes ne disent pas tout. N’eût été des basses températures de l’eau et du nombre relativement faible de requins blancs et de personnes au Canada atlantique et le long des côtes du Saint-Laurent, le nombre d’incidents pourrait potentiellement ressembler à celui d’autres pays ayant une population significative de requins blancs comme l’Australie, où une poignée de rencontres violentes impliquant des requins se produisent chaque année³. Bien que de tels affrontements devraient demeurer exceptionnels au Canada, le niveau de risque pourrait néanmoins augmenter à mesure que la croissance de la population humaine et le réchauffement de l’Atlantique Nord amènent davantage de personnes à s’aventurer dans l’océan pendant que le requin blanc repeuple ses anciens territoires de chasse.
¹ Nicolas Denys. Description géographique et historique des costes de l’Amérique septentrionale avec l’hiftoire naturelle du païs. Paris. 1672.
² Betts, M. W., Blair, S. E., & Black, D. W. (2012). Perspectivism, mortuary symbolism, and human-shark relationships on the Maritime Peninsula. American Antiquity, 77(4), 621–645. http://www.jstor.org/stable/23486482
² Jacques Merle. Mémoire de ce qui est arrivé au P. Vincent de Paul, religieux de la Trappe ; et ses observations lorsqu’il étoit en Amérique où il a passé environ dix ans avec l’agrément de son Supérieur. Paris. 1824.
³ Australian Shark-Incident Database
Squalophobie : La peur des requins
Malgré leur terrible réputation, les requins ne sont pas des mangeurs d’hommes. En fait, les rencontres avec des requins entraînant des blessures ou la mort sont extrêmement rares, surtout au Canada. Et pourtant, il y a beaucoup de requins dans l’Atlantique Nord-Ouest, le Pacifique Nord-Est et l’océan Arctique, y compris le plus grand et le plus notoire de tous les requins carnivores, le requin blanc (Carcharodon carcharias).
« L’émotion la plus ancienne et la plus forte de l’humanité est la peur, et la peur la plus ancienne et la plus forte est la peur de l’inconnu. »
— H. P. Lovecraft, Supernatural Horror in Literature (1927)
Le requin blanc est responsable de la plupart des incidents au Canada.
La peur des requins, ou squalophobie¹, existe depuis que les humains sont attirés par la mer. Aujourd’hui, les attaques de requins provoquent généralement une frénésie de reportages médiatiques sensationnalistes en raison de leur rareté et parce qu’elles suscitent autant de fascination que de terreur. Pour la plupart, la peur est enracinée dans la culture humaine mais elle est injustifiée car ils ne s’approcheront jamais d’un requin. Dans de nombreux cas, la peur créée par l’homme est exacerbée par les médias et les films à suspense tels que Les dents de la mer et Instinct de survie.
Mais même pour certains d’entre nous qui explorons le domaine des requins armés de connaissances et d’expérience, la peur est néanmoins réelle avec quelques espèces et sous certaines conditions. Nous comprenons que les attaques sont très inhabituelles, mais lorsque l’eau est trouble et que nous présumons que le requin blanc rôde dans les parages, il n’y a pas de place pour la complaisance et nous plongeons avec des yeux tout le tour de la tête.
¹ La peur des requins est également connue sous le nom de galéophobie.
Pourquoi un registre et est-ce préjudiciable aux requins ?
Le Registre canadien des attaques de requins a été créé par l’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS) à la suite d’une série d’incidents confirmés ou soupçonnés impliquant des requins blancs dans la province de la Nouvelle-Écosse, y compris le golfe du Saint-Laurent, en 2021. En date d’octobre 2024, près d’une douzaine de rencontres entre plongeurs sportifs et requins blancs ont été signalées dans la région d’Halifax en à peine quatre ans. De tels incidents, jusqu’alors inédits, pourraient être expliqués par une redistribution ou une augmentation de la population de requins blancs de l’Atlantique Nord, ou les deux. Peu importe la raison, les rencontres menaçantes ou violentes passées et présentes doivent être documentées et comprises afin de mieux prévoir et prévenir les blessures ou la mort, et pour promouvoir la coexistence pacifique entre les humains et les requins.
Le registre est tenu par un groupe de bénévoles dévoués, tous scientifiques et chacun d’entre nous aimons les requins. Nous avons commencé à étudier ces créatures méprisées dans les années 90, alors que la plupart des gens ignoraient leur présence au Canada, et bien avant qu’il y ait un quelconque mouvement organisé pour les protéger. Depuis, nous avons mené plusieurs expéditions de recherche, publié des études évaluées par des pairs, et réalisé plusieurs premières avec des requins au Canada. Une grande partie de notre travail est menée sous l’eau, en plongée, et à ce titre, nous avons personnellement rencontré des centaines de requins de près et dans une myriade de situations et d’environnements dont la plupart étaient palpitants, mais aussi quelques-uns qui étaient effrayants. Bref, le premier répertoire des attaques de requins (alias incidents, interactions, morsures et rencontres négatives) au Canada est basé sur des décennies d’expérience sur le terrain, ainsi que sur les connaissances partagées de nos collègues du monde entier.
Notre objectif est simple : protéger les humains et les requins en brossant un tableau de ce qui a été, de ce qui se passe maintenant et de ce qui est susceptible de se produire dans un proche avenir. Nous croyons que le grand public doit mieux comprendre les requins et le risque qu’ils représentent pour les humains s’aventurant dans leur habitat. Les requins doivent être acceptés, et non craints, pour ce qu’ils sont : des prédateurs, non pas des humains, mais des bêtes de proie néanmoins, et que des incidents se produiront peu importe à quel point nous les aimons ou les détestons. Prédire que des heurts et morsures occasionnelles sont inévitables n’est ni de la clairvoyance ni une campagne de peur. Il s’agit d’une hypothèse réaliste basée sur une compréhension du comportement de base des requins lié à des environnements spécifiques.
Qu’on le veuille ou non, le requin blanc semble faire son grand retour au Canada atlantique et dans le Saint-Laurent ; son environnement physique se modifie sous les effets du réchauffement climatique¹ ; et un nombre croissant d’humains pénètrent dans l’habitat des requins à chaque année. Même si nous préférions dire aux gens de vaquer à leurs occupations habituelles sans aucun souci, nous croyons que le risque de rencontres agressives avec des requins au Canada a augmenté et qu’il continuera de croître parallèlement au statut protégé du requin blanc et aux changements écosystémiques en cours dans l’Atlantique Nord.
Le retour du requin blanc est une bonne chose pour les écosystèmes de l’Atlantique Nord, y compris le Canada atlantique et le Saint-Laurent, qui ont besoin de mégafaune comme le requin blanc pour que toutes les espèces, grandes et petites, prospèrent. Cependant, nous devons nous adapter à cette réalité retrouvée. Nous devons être proactifs et nous concentrer sur la connaissance et la prévention afin de réduire le risque d’incidents liés aux requins et pour mieux réagir lorsque d’éventuelles morsures se produiront. Il faut rétablir les faits pendant que nous avons la tête froide, et avant qu’un autre incident et la frénésie médiatique qui s’ensuit ne fasse encore reculer la cause de la conservation des requins de 50 ans.
Notre longue expérience de travail avec les agences gouvernementales, les pêcheurs, les communautés côtières, les groupes de conservation, le grand public et les médias, nous a permis de bien comprendre les nombreux enjeux et intérêts variés qui influencent notre appréciation respective de l’océan et de l’un de ses prédateurs clés, le requin. Mais cela nous a également appris que lorsque les besoins de chacun sont véritablement compris et appréciés, la plupart des gens se soucient des requins et sont prêts à contribuer à leur survie. La solution pour aller de l’avant est simple : lorsqu’en présence d’intérêts aussi divergents, il est indispensable d’être honnête et transparent afin d’établir la confiance et d’effectuer des changements positifs. Il en va de même pour la conservation des requins.
Cacher la réalité avec des statistiques biaisées ou des affirmations gratuites selon lesquelles les requins ne sont pas dangereux ou ne représentent aucune menace pour nous n’aide personne, y compris les requins. Nous nous attendons néanmoins à ce que certains perçoivent le Registre canadien des attaques de requins comme dépeignant les requins sous un mauvais jour et perpétuant leur terrible réputation en nous rappelant leurs rarissimes mauvais coups. Mais nous croyons fermement que cette initiative est en fait l’une de plusieurs actuellement entreprises par différents groupes dévoués à la cause de la conservation des requins à travers le pays. Pour reprendre les mots de notre regretté ami et collègue qui a grandement inspiré la carrière scientifique de plusieurs d’entre nous,
« si nous allons continuer à entrer dans l’habitat des requins, plutôt que de purger la mer des requins, il est beaucoup plus logique de se familiariser avec leurs manières—de devenir Shark Smart. »
— Aidan. R. Martin, Shark Smart (1995)
¹ Le golfe du Saint-Laurent a eu chaud en 2021. La Presse. 19.01.2022. Online
Couverture des premières plongées avec requins pélagiques au Canada au large de Halifax en 2000. Photo © Jeffrey Gallant | ORS
La cage d’observation de requins dans la glace du Saguenay lors de l’Opération Skalugsuak II, en 2002. Photo © Jeffrey Gallant | ORS
Le GEERG (ORS) a capturé les premières images non intrusives de requins du Groenland nageant librement en 2003. Le contact était à tout moment initié par les requins dans des conditions naturelles sans l’utilisation d’appât ou d’hameçons. Photo © Jeffrey Gallant | ORS
Sont-ils dangereux ?
En bref : oui… mais la réponse est plus complexe qu’elle n’y paraît. Ce qui compte vraiment, c’est le niveau de risque associé à chaque espèce, les personnalités individuelles (tous les requins d’une même espèce ou d’un même sexe ne se comportent pas de la même manière), ainsi que des facteurs aggravants tels que la présence d’autres requins en compétition pour la même nourriture, l’âge d’un requin¹ (les juvéniles pourraient mordre davantage), les conditions marines ainsi que les activités humaines telles que la pêche ou le surf. En d’autres termes, lorsque le jugement d’un requin n’est pas altéré par des conditions défavorables, l’inexpérience ou la concurrence, il y a très peu de chances qu’il morde un humain.
De toute évidence, les requins ne recherchent pas les humains comme proie et le risque d’être mordu est infiniment petit, mais la combinaison de leur nature prédatrice, de leurs formidables capacités offensives et de variables environnementales telles que la présence de phoques et la mauvaise visibilité rendent dangereuses certaines des plus grandes espèces. Il y a pourtant une tendance chez les militants bien intentionnés à banaliser le risque posé par les requins afin d’influencer l’opinion publique. C’est compréhensible car de nombreuses espèces de requins sont fortement menacées, mais qui voudrait protéger des tueurs insensés ? Autrefois vilipendés comme des mangeurs d’hommes démoniaques, leur réputation a donc—dans certains milieux—prit un virage à 180 degrés pour être dépeints comme des poissons inoffensifs vaquant à leurs occupations sans constituer une menace réelle pour les humains. Cependant, nous sommes d’avis que de généraliser à outrance le risque posé par les plus de 500 espèces de requins dans le monde pour répondre aux efforts de conservation est contre-productif puisque chaque nouvel incident relance le débat éternel—Sont-ils dangereux ou pas ?—alors que les rencontres violentes impliquant d’autres espèces animales sont depuis longtemps considérées comme normales, c’est-à-dire qu’elles sont censées se produire.
« Le besoin de protéger les requins est réel, mais dénaturer leur comportement et banaliser le risque d’attaques au nom de la conservation est contreproductif pour eux, et pour nous. »
— Jeffrey Gallant, ORS
Les documentaires sur la faune et l’histoire naturelle ont appris à des millions de personnes à prendre soin d’animaux connus pour attaquer les humains, y compris l’hippopotame. Et encore, les hippopotames tuent environ 500 à 3 000 personnes chaque année², ce qui en fait le mammifère le plus meurtrier au monde après l’homme ; presque deux fois plus meurtrier que les lions et au moins cinquante fois plus mortel que les requins. Les requins souffrent donc de discrimination interspécifique lorsque des animaux plus dangereux sont jugés dignes de notre protection, mais pas les requins. De même, les rencontres mortelles avec l’ours blanc—polaire—sont encore plus rares que les attaques de requins, et pourtant il ne fait aucun doute que l’ours blanc est dangereux pour les humains. En d’autres termes, comme les requins, il tue parfois des gens, mais il n’en reste pas moins un symbole émouvant et populaire des changements climatiques. Pourquoi ce double standard ? Qu’y a-t-il à propos des requins qui les rend si peu aimables que nous devons changer le récit pour générer de la compassion ?
Materner les requins pour soutenir les efforts de conservation mène également à un faux sentiment d’assurance et à la nonchalance, ce qui augmente ainsi le risque, si petit soit-il, de rencontres dramatiques. Lorsque l’inévitable tragédie frappe une malheureuse victime, le chaos médiatique qui s’ensuit et le manque de sensibilisation du public aux requins mènent généralement à des titres sensationnalistes et alarmistes, à des campagnes d’abattage et, pire encore, à une indifférence continue face à l’extermination des requins résultant du commerce des ailerons.
Rejeter aveuglément ou exagérer le danger posé par les requins sont tous deux néfastes. Ce qu’il faut est une compréhension mature et simple des requins pour mieux prévoir et aider à prévenir les morsures. Ce n’est qu’alors que la plupart des incidents seront à juste titre considérés comme de très rares cas de malchance, c’est-à-dire d’être au mauvais endroit au mauvais moment. En bref, les requins méritent notre respect, pas notre mépris ou notre dérision.
¹ Ryan LA et al. 2021. A shark’s eye view: testing the ‘mistaken identity theory’ behind shark bites on humans. J. R. Soc. Interface 18: 20210533. https://doi.org/10.1098/rsif.2021.0533
² Encyclopædia Britannica. 9 of the World’s Deadliest Mammals. (Referenced on September 15, 2021).
Les hippopotames sont craints mais protégés même s’ils tuent environ 500 à 3 000 personnes chaque année², soit 50 à 300 fois plus que les requins. Les requins jouent un rôle tout aussi important mais largement incompris dans le maintien de leurs propres écosystèmes, mais ils sont généralement dépeints et considérés comme des monstres. Image : Kenya Wildlife Service
Statistiques comparatives : Les grille-pains sont-ils vraiment plus dangereux que les requins ?
En bref : non. Les statistiques ne sont valides que lorsque les ensembles de données des deux côtés de la comparaison sont égaux. Si les chiffres¹ sont vrais, les grille-pains (par le feu et l’électrocution) peuvent en effet tuer plus d’humains que de requins sur une base annuelle (± 800 à ± 10), mais des millions de personnes de plus sont exposées à des grille-pains pendant plusieurs heures chaque jour. Il en va de même pour la plupart des autres comparaisons réconfortantes et biaisées souvent utilisés pour minimiser le risque d’être attaqué, et encore moins tué par un requin (crise cardiaque, cancer, chiens, abeilles, accidents de voiture, foudre, chute de noix de coco, etc.).
Le nombre annuel de victimes devrait suffire à lui seul pour convaincre quiconque du risque extrêmement faible posé par les requins. En moyenne, environ 10 personnes meurent chaque année à la suite de 100 attaques, ou incidents, signalés dans le monde.
Et qu’en est-il des noix de coco ?
C’est l’une des statistiques les plus utilisées pour apaiser la peur des gens d’être attaqué par un requin. Mais en quoi est-ce pertinent pour quiconque s’aventure dans l’océan au Canada, où il n’y a pas de cocotiers ? Et c’est là que réside l’énigme : à moins que de telles comparaisons ne concernent également tous les lieux et au même moment, elles sont sans fondement et ne servent qu’à rassurer les personnes qui comprendraient mieux les véritables risques si on leur offrait plutôt des informations de base relatives au moment et au lieu de leurs activités aquatiques.
Si vous avez besoin de tranquillité d’esprit, oubliez les statistiques biaisées et souvenez-vous de ceci : les attaques de requin blanc sont extrêmement rares, mais vous pouvez réduire le risque au strict minimum en vous armant de connaissances de base sur la migration saisonnière et le comportement du requin blanc dans les eaux canadiennes. Il faut aussi reconnaître que le requin blanc est de retour² et que c’est une certitude statistique que plus d’incidents impliquant des requins se produiront au Canada, surtout si les adeptes de l’océan n’adaptent pas leurs habitudes aux changements écologiques qui s’y déroulent actuellement.
Les statistiques sur les décès causés par le grille-pain ne révèlent rien sur le comportement des requins, mais peuvent conduire à l’oikophobie.
Des cocotiers meurtriers au Canada ?
Selon l’International Shark Attack File (ISAF, 2021), le risque à vie d’être tué par un requin aux États-Unis est de 1 sur 4,332,817*. Cela ne tient pas compte du fait que des millions d’Américains vivent loin des côtes, c’est-à-dire qu’une personne qui vit au Kansas et qui ne visite jamais l’océan n’a évidemment pas le même risque à vie qu’un surfeur ou un plongeur de Californie. À l’échelle mondiale, le niveau de risque varie également en fonction du lieu et des activités aquatiques. Le risque mesuré³ le plus élevé au monde concernait la côte sud de l’Australie-Occidentale. Au printemps, lorsque l’eau est fraîche et que les baleines et leurs petits se rapprochent du rivage, le risque de morsure mortelle pour les plongeurs récréatifs (à 50 mètres du rivage et à plus de 5 mètres de profondeur) peut atteindre 1 sur 15 000, ce qui est encore extrêmement faible. De même, si vous décidez spontanément de nager ou de plonger près d’une colonie de phoques au large de Lunenburg (NE) à la mi-août, les chances d’être traqué puis mordu par un requin blanc seront toujours très faibles, mais loin d’être aussi faibles que les estimations mondiales utilisées pour rendre les attaques de requin insignifiantes. Autrement dit, aucune statistique ne s’applique à tous les lieux et à toutes les situations. Les attaques dépendent de plusieurs variables telles que le moment, le lieu, les espèces de requins, les personnalités des requins, l’âge des requins, le nombre de requins, les conditions marines, l’activité humaine ainsi que la proximité souvent prévisible de proies régulières, c’est-à-dire naturelles. À n’importe quel endroit donné, cela varie sur une base saisonnière, quotidienne, voire horaire, et nous pensons que les autorités locales, et en particulier les amateurs de plage et les plongeurs qui se soucient de leur survie, devraient maîtriser les connaissances nécessaires pour effectuer une évaluation de base des risques afin d’éviter les problèmes potentiels.
En conclusion, plutôt que de banaliser le risque avec des comparaisons biaisées, une compréhension générale des requins et des conditions locales pourrait réduire davantage le risque, sauver des vies humaines et sauver des requins en voie de disparition, car même les rares attaques peuvent engendrer de la mauvaise presse, voire même des moyens de dissuasion destructeurs.
Exposition miroir de l’animal le plus dangereux du monde au zoo du Bronx en 1963. « Vous regardez l’animal le plus dangereux du monde. Lui seul de tous les animaux qui ait jamais vécu peut exterminer (et l’a déjà fait) des espèces entières d’animaux. Maintenant, il a le pouvoir d’éliminer toute vie sur terre. Photo de Illustrated London News, Angleterre, le 8 juin 1963.
¹ Liljegren Law Group. What are the Most Dangerous Appliances in Your Home? Accessed online 12.10.2021. https://www.liljegrenlaw.com/what-are-the-most-dangerous-appliances-in-your-home. Note: We have been unable to find any corroborating statistics or credible evidence for the number of worldwide fatalities caused by toasters.
² G. Bastien, A. Barkley, J. Chappus, V. Heath, S. Popov, R. Smith, T. Tran, S. Currier, D.C. Fernandez, P. Okpara, V. Owen, B. Franks, R. Hueter, D.J. Madigan, C. Fischer, B. McBride, and N.E. Hussey. (2020). Inconspicuous, recovering, or northward shift: status and management of the white shark (Carcharodon carcharias) in Atlantic Canada. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences. 77(10): 1666-1677. https://doi.org/10.1139/cjfas-2020-0055
³ Sprivulis P. (2014). Western Australia coastal shark bites: A risk assessment. The Australasian medical journal, 7(2), 137–142. https://doi.org/10.4066/AMJ.2014.2008
* Le risque à vie est calculé en divisant la population des États-Unis en 2021 (331 893 745) par le nombre de décès, divisé par 76,6, l’espérance de vie d’une personne née en 2021.
Attaque contre incident : un cas de sémantique ou de rectitude politique ?
Selon Oxford Languages (Oxford University Press), une attaque est une action agressive et violente contre une personne ou un lieu, tandis que incident* peut être utilisé pour décrire n’importe quoi, d’une rencontre fortuite et banale à la guerre et tout ce qui se trouve entre les deux. Bien que les partisans de termes apparemment anodins tels que incident, interaction ou rencontre négative présentent des arguments valables, une morsure de requin, qu’elle soit accidentelle, exploratoire, défensive ou prédatrice, est toujours une action agressive et violente qui entraîne parfois la mort. De même, lorsqu’une personne en tue accidentellement une autre, ça s’appelle un meurtre au troisième degré ou un homicide involontaire, qui sont des termes bien moins conciliants que le vague et exonérant incident, et encore plus sinistre que la litigieuse attaque.
Un nom qui en dit long.
Bien que nous partagions la préoccupation significative que le mot attaque puisse perpétuer par inadvertance la réputation indue du requin en tant que mangeur d’hommes, nous pensons néanmoins qu’il décrit le mieux le résultat final de rencontres aussi rares mais brutales avec un prédateur denté, quelles que soient les circonstances. Nous estimons également que c’est le bon terme pour cette base de données puisque les rencontres passives, beaucoup plus fréquentes, sont de moindre importance pour l’éducation et la prévention. Nous avons néanmoins inclus les incidents de traquage présumés, car ils présentent également des informations précieuses sur le comportement des requins et l’évaluation des risques.
Comme mentionné dans la section précédente sur le danger posé par les requins, nous pensons qu’éviter les mots illustrant la violence au nom de la conservation peut conduire à un faux sentiment d’assurance, d’indifférence et de complaisance. Nous sommes donc d’avis que la sécurité et la sensibilisation publiques sont mieux servies par une éducation de base sur le comportement et la distribution des requins qu’en minimisant le risque avec une terminologie politiquement correcte et confuse. Si l’objectif de reformuler le comportement du requin est de changer la perception du public, nous pourrions également défendre sa nature généralement non belligérante avec un nouvel idiome factuel d’improbabilité. Au lieu de aussi rare que le grand amour, pourquoi pas aussi rare qu’une attaque de requin? En d’autres mots, aussi extraordinairement rares soient-elles, les attaques de requins se produisent néanmoins et elles doivent être appelées comme telles par respect pour la puissance du requin et son apparent sens de la retenue.
« Lorsqu’une personne en tue accidentellement une autre, cela s’appelle un meurtre au troisième degré ou un homicide involontaire, qui sont des termes bien moins conciliants que le vague et exonérant incident, qui est aujourd’hui utilisé pour décrire un requin qui mord—et tue occasionnellement par inadvertance—un humain comme un objet de curiosité, un concurrent ou une proie potentielle.
— Jeffrey Gallant, Observatoire des requins du Saint-Laurent
Pourquoi les requins mordent-ils ?
Parce que les requins n’ont pas de mains, ils utilisent leurs dents pour tester des aliments potentiels, pour se nourrir, ou se battre. Il n’existe ainsi aucun mot, y compris attaque, qui décrit chaque type de morsure ou de lacération de requin. Elles peuvent être prédatrices, défensives, territoriales ou exploratoires, mais beaucoup sont rapidement attribuées à une erreur d’identité afin de blanchir l’auteur présumé maladroit. Et pourtant, tous les requins transgresseurs ne sont peut-être pas aussi sujets aux gaffes qu’on le croit généralement¹.
Les préférences alimentaires des requins ont été déterminées bien avant l’apparition des humains. Après des millions d’années d’évolution, de nombreux requins sont donc instinctivement programmés pour parcourir de longues distances et se rassembler² à des lieux de chasse connus d’eux où ils recherchent et reconnaissent des proies spécifiques et sûres offrant un taux élevé de nourriture et peu de résistance, comme les phoques. Bref, le requin doit absorber plus d’énergie qu’il n’en dépense pour chasser, se nourrir et se déplacer. Étant donné que les caractéristiques anatomiques des humains ne répondent généralement pas à cette exigence de base, les humains n’ont donc jamais fait partie de l’alimentation normale d’un requin. Ceci pourrait expliquer en partie pourquoi la plupart des requins ne mordent ou lacèrent qu’une seule fois avant de s’éloigner d’une victime humaine incapable de se déplacer et saignante. Est-ce parce que le requin se rend compte qu’il a fait une erreur, ou pourrait-il simplement vouloir mettre en déroute un présumé concurrent insensible à ses avertissements répétés ?
Il a récemment été suggéré¹ que les compétences visuelles encore en développement des requins blancs juvéniles pourraient leur faire mordre par erreur des objets ou des personnes ressemblant à leurs proies habituelles, à savoir les pinnipèdes. Cela devrait particulièrement intéresser les résidents et les visiteurs du Canada atlantique et du Saint-Laurent où un nombre possiblement en croissance³ de jeunes requins blancs migrent chaque année. Ce ne serait pas le cas avec les requins blancs adultes, qui seraient cinq fois moins nombreux à traverser la frontière vers le Canada que les juvéniles et les sous-adultes†, et dont les sens et l’expérience plus développés leur permettent de reconnaître plus facilement leurs proies, sauf sous les conditions environnementales les plus défavorables.
En bref, tous les incidents impliquant des requins ne sont pas qualifiés de véritables attaques. Certains peuvent être le résultat d’une collision accidentelle due à la mauvaise visibilité, à la curiosité ou à un manque de jugement. De même, il est difficile de déterminer si un requin traque une proie potentielle ou s’il est simplement curieux lorsqu’aucune confrontation ne se produit. Ou un requin harceleur fait-il preuve de territorialité et tente-t-il d’éloigner un intrus persistant mais inconscient jusqu’à ce qu’une ligne invisible soit franchie et qu’une confrontation s’ensuit ? Quelle que soit la situation, prenez garde : les incidents bénins qui semblent terminés peuvent rapidement s’aggraver si le requin reste à proximité et que la provocation ou la menace, ou son intérêt pour vous ne cessent. En présence d’un requin qui persiste à s’approcher de vous, il est préférable de retourner à votre bateau ou au rivage le plus près afin d’éviter tout incident, interaction, rencontre négative ou même une rare attaque préméditée.
Avis : En tant que chercheurs indépendants, nous ne sommes pas une autorité officielle en matière de terminologie ou de lexicologie des mots associés aux requins et ne parlons donc que pour nous-mêmes. Vous pouvez ainsi utiliser les termes qui reflètent le mieux votre propre opinion lorsque vous parlez de requins.
* Significations du terme incident par Oxford Languages : (a) an event or occurrence, (b) a violent event, such as a fracas or assault, (c) a hostile clash between forces of rival countries, (d) a case or instance of something happening, (e) the occurrence of dangerous or exciting things.
† Dr. Heather D. Bowlby, Mr. Warren N. Joyce, Miss Megan V. Winton, Mr. Peterson Jacob Coates, and Greg Skomal. Conservation implications of white shark (Carcharodon carcharias) behaviour at the northern extent of their range in the Northwest Atlantic. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences. https://doi.org/10.1139/cjfas-2021-0313
¹ Ryan LA et al. (2021). A shark’s eye view: testing the ‘mistaken identity theory’ behind shark bites on humans. J. R. Soc. Interface 18: 20210533. https://doi.org/10.1098/rsif.2021.0533
² Semmens, J., Payne, N., Huveneers, C. et al. (2013). Feeding requirements of white sharks may be higher than originally thought. Sci Rep 3, 1471. https://doi.org/10.1038/srep01471
³G. Bastien, A. Barkley, J. Chappus, V. Heath, S. Popov, R. Smith, T. Tran, S. Currier, D.C. Fernandez, P. Okpara, V. Owen, B. Franks, R. Hueter, D.J. Madigan, C. Fischer, B. McBride, and N.E. Hussey. (2020). Inconspicuous, recovering, or northward shift: status and management of the white shark (Carcharodon carcharias) in Atlantic Canada. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences. 77(10): 1666-1677. https://doi.org/10.1139/cjfas-2020-0055
Attaques préhistoriques
Le requin blanc n’était pas étranger aux peuples préhistoriques de la Péninsule maritime, dont la Première Nation Mi’kmaq qui le connaissait sous plusieurs noms tels que wabinmek ‘wa. Contrairement à la société canadienne d’aujourd’hui, les requins étaient bien connus et revêtaient une importance particulière pour les peuples autochtones de la péninsule, qui englobait les provinces maritimes, le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent, ainsi que certaines parties de la Nouvelle-Angleterre. Cette relation qui dure depuis des milliers d’années est attestée¹ par la présence de dents de requin que l’on trouve couramment dans les contextes mortuaires et rituels datant d’environ 5000 BP à 950 BP, où BP signifie « Before Present » et où le présent est défini en 1950.
Des dents de requins, en particulier de requins blancs, ont ainsi été découvertes¹ sur des lieux de sépulture dans tout le Nord-Est et aussi loin à l’intérieur des terres que l’actuel Montréal. Pour les peuples chasseurs-cueilleurs de l’Archaïque maritime, on pense que les dents pourraient avoir représenté une créature avec des capacités prédatrices impressionnantes et respectées. Elles pourraient aussi avoir été un symbole du mode de vie marin de leur société. D’un point de vue spirituel, les dents pourraient avoir détenu des pouvoirs mystiques. Le commerce des précieuses dents de requins pourrait donc avoir été un moyen de renforcer les relations entre les groupes dans toute la péninsule, y compris dans des régions intérieurs comme la vallée du Saint-Laurent où aucun requin n’était présent.
Cette relation millénaire entre les peuples autochtones et Carcharodon carcharias est une preuve supplémentaire que la présence accrue du requin blanc au Canada atlantique et dans le golfe du Saint-Laurent serait davantage associée à une augmentation récente de la population qu’aux changements climatiques, c’est-à-dire que le requin blanc était considéré comme relativement abondant des milliers d’années avant l’avènement du réchauffement climatique.
Tracés de pétroglyphes Mi’kmaqs de deux chasseurs marins dans un canot en train de transpercer ce qui semble être un marsouin. Image reproduite des Archives de la Nouvelle-Écosse.
Vue d’artiste du mode de vie des Mi’kmaqs, y compris les canots à bosse et à mât typiques du golfe du Saint-Laurent, peints vers 1850. Image : Musée des beaux-arts du Canada
Wabinmek ‘wa
Les Mi’kmaqs étaient des marins hors-pairs qui effectuaient de longs voyages² en haute mer pour atteindre des communautés éloignées et des terrains de chasse saisonniers, comme les Îles-de-la-Madeleine et le sud de Terre-Neuve. Ils ont même conçu³ un canot spécifiquement pour les voyages en mer. En plus des menaces environnementales telles que les conditions de mer périlleuses, les tempêtes et le ciel couvert, qui rendaient la navigation difficile ou dangereuse, les Mi’kmaqs auraient également été poursuivis et attaqués par des requins, dont le plus probable était le requin blanc. Les attaques étaient apparemment si fréquentes et meurtrières que les marins portaient des armes et des moyens de dissuasion spécialement conçus pour repousser leurs voraces agresseurs.
Cette carte de la Nouvelle-France produite par le cartographe français Jean-Louis Franquelin en 1678 illustre les Mi’kmaqs en tant que peuple marin. Le canot Mi’kmaq illustré dans l’Atlantique Nord, juste au sud de l’actuelle baie de Fundy, est clairement situé dans l’habitat privilégié du requin blanc.
Carte de la Nouvelle-France produite par le cartographe français Jean-Louis Franquelin en 1678. Image : Bibliothèque nationale de France (gallica.bnf.fr)
Vers 1731, sur ce qui est aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard, un chaman Mi’kmaq nommé Lkimu (alias Arguimaut) parla d’un mauvais poisson qui dévora son peuple au Père Pierre-Antoine-Simon Maillard (1710-1762).
«… ils courent souvent de grands risques, en faisant avec leurs frêles canots d’écorce des trajets considérables, comme de quatre, cinq, six, quelquefois sept lieues pour se rendre d’un rivage à un autre […] Ces trajets sont considérables pour nous. Nous avons beau les faire de calme ou de beau temps, les mauvais poissons dont ces mers-cy sont souvent infestées, ne nous permettent pas de les faire sans inquietude et sans peur. Il arrive, et il n’arrive que trop de fois que cette maligne engeance vient attaquer si subitement nos canots par leur derrière, qu’elle les fait caler tout a coup avec ceux qui sont dedans. C’est en bien nageant que quelques-uns échappent au peril ; mais il y en a toujours qui deviennent la proye de ces poissons carnaciers et extrêmement voraces. Quand nous avons Ie temps de les voir venir à nous, nous cessons tout à coup de nager, nous prenons en main un bois armé au bout d’un os très-dur et très-pointu, et nous en dardons, si nous pouvons, l’animal, qui aussitôt qu’il se sent blessé, cesse de poursuivre pour un peu de temps. Nous profitons de peu de répit en nageant de toutes nos forces; si l’animal revient, nous faisons la meme manoeuvre jusqu’à ce que nous ayons gagné terre. Il n’y a guère à se débarrasser de deux qui s’attachent à un cannot. Quand il nous arrive d’être sans nos dards, nous jettons, non sans beaucoup trembler de frayeur, de momens à autres, des morceaux de viande ou de poisson si nous en avons, pour amuser I’animal qui nous poursuit, tandis que celuy qui est devant nage tout doucement sans discontinuer. S’il arrive que nous n’ayons plus rien à jetter, nous nous dépouillons de la pelleterie qui nous couvre ; nous jettons souvent à cet animal jusqu’à nos bonnets de peaux de gibier. Enfin voyant que nous n’avons plus rien à jetter, nous attachons et faisons tenir comme nous pouvons au bout du manche de nos avirons quelqu’os des plus pointus, et des plus longs de tous ceux que nous portons toujours avec nous dans nos cannots, ou bien nous lions plusieurs flèches ensemble, dont nous raprochons de fort près les pointes les unes des autres ; nous saisissons cette petite botte de traits avec I’extrémite du haut de la pagaie ou de l’aviron avec quelqu’une de nos ceintures ; alors nous attendons I’animal pour Ie darder, ce qu’il ne nous est pas aisé de si bien faire qu’avec Ie dard, vu que la pagaie ne se trouve jamais assez longue ; cependant il nous a été souvent avantageux de nous servir de cet expédient. Enfin quand nous avons quelque trajet à faire, il est rare, à cause de ces animaux qui nous sont redoutables, que nous ne garnissions Ie derrière de notre cannot de plusieurs branches d’arbres bien garnies de feuilles, et qui s’élèvent deux pieds de hauteur au-dessus des bords du cannot ; nous connaissons par expérience que quand ces poissons voient et sentent ces feuillages, ils se retirent et n’approchent pas ; apparamment qu’ils croyent que c’est une terre sur laquelle ils pourroient s’échouer.
— Maillard, Antoine-Simon. (1863). Lettre de M. l’Abbé Maillard sur les missions de l’Acadie et particulièrement sur les missions micmaques. À Madame de Drucourt [1746], Les Soirées canadiennes, Québec, Brousseau et frères, vol. III, p. 289-426.
Certains historiens² ont provisoirement identifié le « mauvais poisson » tant redouté comme étant l’orque, Orcinus orca (alias épaulard), qui demeure à ce jour un résident rare du golfe. Cependant, à moins que le comportement bien documenté et bienveillant de l’orque envers les humains* fut été inexplicablement différent avant qu’il n’y ait des documents écrits, et parce que les proies naturelles de l’orque telles que les poissons (orque de l’Atlantique Nord de type 1) et les mammifères marins (orque de l’Atlantique Nord de type 2) étaient très abondantes au cours de la préhistoire, nous avons déterminé que l’attaquant était plus probablement le requin blanc. Comme preuve supplémentaire, nous n’avons pas été en mesure de trouver un terme Mi’kmaq pour orque, alors qu’il existe plusieurs mots pour requin, y compris le nom susmentionné du requin blanc, wabinmek ‘wa. Si l’orque était en fait le « mauvais poisson » qui a terrifié et tué de manière prévisible les marins indigènes pendant 5 000 ans, on pourrait supposer qu’il aurait eu un nom et qu’il infligerait encore d’occasionnelles morsures…
Jacques Merle, alias le père Vincent de Paul (1768-1853), a décrit un incident survenu lors d’un voyage en canot de Tracadie (baie Saint-Georges, N.-É.) au détroit de Canso dans un mémoire daté de 1824, qui pourrait avoir impliqué le même agresseur :
Une autre fois que j’allois faire la mission à ce même cap (Breton), les sauvages qui me conduisoient en canot aperçurent trois monstrueux poissons appelés maraches, et en eurent peur, parce qu’ils sont très dangereux. Leurs dents sont faites comme les couteaux de jardinier, coupant et sciant ; enfin, elles sont à peu près comme des rasoirs un peu recourbés. Ils sont extrêmement voraces, et poursuivent souvent les bateaux et les attaquent avec violence. Les canots d’écorce ne peuvent leur résister ; ils les ouvrent largement d’un coup de dent, et alors il faut bien qu’ils coulent à fond ; c’est pourquoi les sauvages les redoutent si fort. Mais heureusement que ces poissons ne nous ont pas poursuivis. Nous sommes arrivés, grâce à Dieu, en bonne santé.
— Jacques Merle, dit Vincent de Paul. (1824). Mémoire de ce qui est arrivé au P. Vincent de Paul, religieux de la Trappe ; et ses observations lorsqu’il étoit en Amérique où il a passé environ dix ans avec l’agrément de son Supérieur, publiée dans Relation de ce qui est arrivé à deux religieux de la Trappe, pendant leur séjour auprès des sauvages (Paris).
Ce récit fournit un indice important quant à l’identité des attaquants. La description des dents (couteaux, sciage et rasoirs) correspond à celle du requin blanc et ne ressemble en rien à la dentition de l’orque. L’apparence « légèrement courbée » peut faire référence à l’angle des dents tel qu’observé à partir d’un canot ou d’une autre embarcation. Le nom marache est aussi très près de maraîche, qui est un nom vernaculaire du requin-taupe commun, Lamna nasus, une espèce souvent confondue—encore aujourd’hui—avec le requin blanc. Marache est aussi un mot basque pour requin. Étant donné que les Mi’kmaqs étaient déjà en contact avec les Basques depuis des centaines d’années lorsque Paul a décrit l’incident, le terme pourrait avoir également été utilisé pour le requin blanc, qui, pour la plupart des observateurs, ressemblerait à un gros requin maraîche.
* Il n’y a aucune mention de l’orque attaquant, encore moins tuant et dévorant, des êtres humains dans son habitat naturel nulle part dans le monde.
¹ Betts, M. W., Blair, S. E., & Black, D. W. (2012). Perspectivism, mortuary symbolism, and human-shark relationships on the Maritime Peninsula. American Antiquity, 77(4), 621–645. http://www.jstor.org/stable/23486482
¹ Keenlyside, D.L. (1999). Glimpses of Atlantic Canada´s past.
² Martijn, Charles, A. (1986). Les Micmacs et la mer. Recherches amérindiennes au Québec, Montréal. 343 p.
³ Adney, Edwin Tappan and Chapelle, Howard I. (1964). The Bark Canoes and Skin Boats of North America. Bulletin of the United States National Museum. 1–242, 224 figures.
Qui est responsable ?
Attaques non provoquées sont des incidents au cours desquels un contact violent se produit sans aucune provocation humaine.
Attaques provoquées sont des incidents dans lesquels un contact violent se produit en raison d’une provocation humaine volontaire ou involontaire, comme toucher, saisir, nourrir ou attaquer un requin, faire de la chasse sous-marine, plonger à l’extérieur d’une cage lors de l’utilisation d’attractifs, ou bloquer physiquement le mouvement vers l’avant d’un requin.
Certains croient que tous les incidents sont simplement le résultat de l’intrusion de personnes dans l’océan où elles peuvent inciter ou irriter ses espèces dominantes.
« Pour tout ce que nous entendons et lisons à propos des attaques de requins non provoquées , j’en suis venu à croire quelles n’existent pas. Nous provoquons un requin à chaque fois que nous entrons dans l’eau où se trouvent des requins, car nous oublions : l’océan n’est pas notre territoire, c’est le leur. »
— Peter Benchley (Shark Trouble, 2002)
Codes descriptifs du RCAR
Diverses classifications sont utilisées par différentes organisations pour décrire les incidents liés aux requins, bien que le motif réel de nombreux événements soit souvent inconnu. Nous proposons ainsi une classification simplifiée basée sur la cause la plus probable. À l’exception du traquage et de la nécrophagie, nous considérons ces types d’incidents comme étant des attaques, que nous définissons comme une action violente contre une personne ou un objet sans égard à la cause.
Attaque éclair (AE) : Attaque improvisée et spontanée résultant d’une réponse immédiate à des stimuli dans des conditions environnementales défavorables telles qu’une faible visibilité ou des vagues, ou en présence d’autres requins ou de proies telles que des phoques. Autrement dit, le requin doit réagir rapidement ou risquer de manquer une occasion de se nourrir ou de se défendre. Le requin réalise généralement qu’il a fait une erreur et met ainsi fin à la confrontation. À la lumière des millions d’humains rencontrés ou détectés par les requins sans incident, les attaques erronées qui ne sont pas causées par de mauvaises conditions environnementales ou la présence de concurrents ou de proies régulières pourraient en fait être très rares.
Préméditée (PRE) : Attaque méthodique et délibérée précédée d’une observation ou d’une traque prolongée, et parfois d’une attitude d’intimidation (comportement agonistique) ou d’un heurt d’avertissement. Le requin voit une cible et veut mordre ou lacérer pour enquêter, se nourrir (prédation), ou combattre un concurrent ou un agresseur potentiel. Même les espèces de requins considérées comme inoffensives pour l’homme peuvent mordre lorsqu’un objet d’intérêt, y compris une source de nourriture, est menacé.
Contrairement à l’attaque éclair, le requin peut attaquer à plusieurs reprises. Lorsque les conditions environnementales n’entravent pas la vision ou les autres sens du requin, le requin peut mordre pour explorer des proies potentielles après une période d’observation. De nombreuses morsures délibérées sur des humains pourraient être de nature exploratoire, ce qui a conduit certains à éviter de décrire ces événements comme des attaques.
Défensive (DF) : Le requin mord quelqu’un ou quelque chose qu’il perçoit comme un agresseur. Même les espèces de requins considérées comme inoffensives pour l’homme peuvent mordre lorsqu’elles se sentent provoquées ou menacées, c’est-à-dire qu’elles sont touchées, attrapées, poursuivies, harponnées ou que leurs mouvements sont entravés.
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Les actions suivantes ne sont pas des attaques puisque aucune action violente n’a lieu.
Nécrophagie (NE) : Le requin consomme un cadavre résultant d’un naufrage, d’une noyade ou d’autres circonstances (alias charognage).
Un requin traque (TR) quelqu’un sans confrontation. Bien que de tels événements n’entraînent pas toujours un contact physique, ils offrent néanmoins des informations précieuses sur le comportement des requins et l’évaluation des risques. Des cas informatifs qui auraient pu mener à une confrontation sont ainsi inclus dans le Registre canadien des attaques de requins.
Réduire le risque
Plongée avec l’aiguillat commun, qui se regroupe parfois par centaines. Image vidéo © Jeffrey Gallant | ORS
Quelle que soit l’activité, ne vous fiez pas au calendrier grégorien pour deviner quand les requins sont partis pour la saison, ou vous pourriez avoir une grosse surprise. Les requins blancs sont demeurés dans les provinces du Saint-Laurent et des Maritimes jusqu’en novembre (2021), peut-être en raison des températures de l’eau inhabituellement chaudes¹.
¹ Le golfe du Saint-Laurent a eu chaud en 2021. La Presse. 19.01.2022. Online
Registre canadien des attaques de requins — Liste
DERNIÈRE MISE À JOUR : 19.10.2023
¹ Inclut les incidents présumés de traquage et les eaux limitrophes. L’incident du Maine (#22) est associé à la province limitrophe (Nouveau-Brunswick).
¹ Bien que les incidents de traquage n’entraînent pas de contact physique, ils offrent néanmoins des informations précieuses sur le comportement des requins et l’évaluation des risques.
¹ Les incidents non confirmés et discrédités sont inclus en rouge pour contrer les rapports publiés ailleurs.
² Betts, M. W., Blair, S. E., & Black, D. W. (2012). Perspectivism, mortuary symbolism, and human-shark relationships on the Maritime Peninsula. American Antiquity, 77(4), 621–645. http://www.jstor.org/stable/23486482
² Martijn, Charles, A. (1986). Les Micmacs et la mer. Recherches amérindiennes au Québec, Montréal. 343 p.
Nombre total de cas (confirmés et non confirmés) : 28
Nombre total d’incidents confirmés ou plausibles : 21
Total cas non confirmés ou discrédités : 7
⇒ Cliquez sur les numéros de cas dans la première colonne (#28, #27, #26, etc.) pour les descriptions détaillées. ⇐
Cliquez 👇 | Date | Lieu | Province | Espèce | Incident | Résultat |
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28 | 2023.10.18 | Toby Island | NE | Requin blanc | Chien de chasse tué par un requin | Chien tué |
27 | 2021.11.09 | Chebucto Head | NE | Requin blanc | Plongeurs traqués par un requin | Nul |
26 | 2021.09.12 | Île de Sable | NE | Requin blanc | Planeur endommagé par un requin | Bris |
25 | 2021.08.13 | Île Margaree | NE | Requin blanc | Nageuse mordue par un requin | Blessure |
24 | 2019.09.12 | White Point | NE | Indéterminée | Surfeurs traqués par un requin | Nul |
23 | 2012.07.19 | Tofino | CB | Indéterminée | Surfeuse mordue par un requin | Blessure |
22 | 2010.10.23 | Eastport, ME | NB | Requin maraîche | Plongeur heurté par un requin | Nul |
21 | 2007 | Ingalik | NU | Requin du Groenland | Enfant traqué par un requin | Nul |
20 | 2004.06.20 | Baie-Comeau | QC | Requin du Groenland | Plongeurs traqués par un requin | Nul |
19 | 2000.12.05 | Digby | NE | Requin maraîche | Plongeur heurté et traîné | Nul |
18 | 1961.08.17 | Esperanza Inlet | CB | Requin blanc | Engin de pêche attaqué | Bris |
17 | 1953.07.09 | Fourchu | NE | Requin blanc | Bateau attaqué par un requin | Décès |
16 | 1940.04.04 | Île aux Basques | QC | Requin du Groenland | Bateau attaqué par un requin | Nul |
15 | 1936.08.11 | Georges Bank | NE | Requin blanc | Bateau attaqué par un requin | Nul |
14 | 1932.07.02 | Digby | NE | Requin blanc | Bateau attaqué par un requin | Nul |
13 | 1925.01.08 | Burrard Inlet | CB | Indéterminée | Plongeur attaqué par un requin | Nul |
12 | <1924 | Grands Bancs | TN | Indéterminée | Pêcheur mordu par un requin | Blessure |
11 | 1920.06.27 | Hubbards | NE | Requin blanc | Bateau attaqué par un requin | Nul |
10 | 1905.07.07 | False Creek | CB | Indéterminée | Enfant traqué par un requin | Nul |
9 | 1891.08.30 | Détroit Cabot | NE | Indéterminée | Pêcheur tué par un requin | Décès |
8 | 1888.08.27 | Baie des Ha! Ha! | QC | Requin du Groenland | Femme menacée par un requin | Nul |
7 | 1888.08.14 | Île de Sable | NE | Indéterminée | Naufragé tué par un requin | Décès |
6 | 1874 | Banc St-Pierre | TN | Requin blanc | Bateau attaqué par un requin | Nul |
5 | 1860 | Cap Canso | NE | Indéterminée | Naufragés tués par des requins | Décès |
4 | 1859 | Pond Inlet | NU | Requin du Groenland | Jambe humaine dans un requin | Nul |
3 | <1846 | Rivière Moisie | QC | Requin blanc | Canot attaqué par un requin | Décès |
2 | <1846 | Nunavut | NU | Requin du Groenland | Kayak attaqué par un requin | Décès |
1 | <1691 | Gaspé | QC | Indéterminée | Nageur tué par un requin | Décès |
👆 Click | Date | Lieu | Province | Espèce | Incident | Résultat |
Le registre canadien des attaques de requins est un travail en cours avec des incidents nouveaux et historiques ajoutés à mesure que les informations deviennent disponibles. Pour soumettre d’autres incidents, veuillez nous contacter.
Registre canadien des attaques de requins — Carte
DERNIÈRE MISE À JOUR : 19.10.2023
La carte du Registre canadien des attaques de requins comprend tous les incidents documentés¹ du Canada, y compris les rapports non confirmés et discrédités². Chaque entrée comprend une description détaillée accessible en cliquant sur l’icône de requin. Des incidents nouveaux et historiques sont ajoutés à mesure que les informations deviennent disponibles. Pour soumettre d’autres incidents, veuillez nous contacter.
¹ Inclut les incidents présumés de traquage et les eaux limitrophes. Bien que les incidents de traquage n’entraînent pas de contact physique, ils offrent néanmoins des informations précieuses sur le comportement des requins et l’évaluation des risques.
² Les incidents non confirmés et discrédités sont inclus en rouge pour contrer les rapports publiés ailleurs.
⇒ Cliquez sur les icônes de requins pour les détails. ⇐
Registre canadien des attaques de requins — Statistiques
DERNIÈRE MISE À JOUR : 19.10.2023
¹ Inclut les incidents présumés de traquage et les eaux limitrophes. L’incident du Maine (#22) est associé à la province limitrophe (Nouveau-Brunswick).
² Bien que les incidents de traquage n’entraînent pas de contact physique, ils offrent néanmoins des informations précieuses sur le comportement des requins et l’évaluation des risques.
³ Les incidents non confirmés et discrédités sont inclus en rouge pour contrer les rapports publiés ailleurs.
Pour soumettre d’autres incidents, veuillez nous contacter.
Nombre d’incidents par province
Confirmés seulement.
Le cas du Nouveau-Brunswick provient des eaux limitrophes du Maine.
Le requin blanc est présumé dans tous les cas mortels..
Total (Canada) : 21
Non mortels : 17
Mortels : 4
Nombre d’incidents par espèce
Confirmés seulement.
Le requin blanc est présumé dans tous les cas mortels.
Requin blanc : 9 (48 %)
Inconnue : 5 (24 %)
Requin du Groenland : 4 (19 %)
Requin maraîche : 2 (9 %)
Jeffrey Hay Gallant, MSc, est le fondateur et directeur scientifique de l’Observatoire des requins du Saint-Laurent et chercheur doctorant à l’UQAM. Il a fait sa première observation de requin à Peggy’s Cove en 1975, sa première plongée avec un requin à Halifax en 1992, codirigé les premières plongées en cage au Canada en 2000, et a été la première personne à filmer un requin du Groenland nageant librement en 2003.